Par Marc FERRERO. Psychologue clinicien – Enseignant en psychologie.
Co-auteur avec Jean-Marie Besse du livre L’enfant et ses complexes. Ed Mardaga. Bruxelles. 2021

« Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève, il le devint véritablement : pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner »

Voici une phrase de Marcel PAGNOL, écrivain français, extraite de son roman « le temps des amours » paru en 1977 sur ses souvenirs d’enfance. Qui d’entre nous n’a pas éprouvé à un moment ou à un autre ce sentiment ? Si un parent, un ami ou un enseignant nous avait accordé ne serait-ce que son intérêt, nous aurions été différents…

Une telle phrase fait sans aucun doute écho à ce que vous avez pu éprouver… Allons plus loin : cette intuition du romancier est aussi l’illustration d’une expérience fameuse faite par un psychologue et une directrice d’école aux Etats-Unis.  Les résultats de ce test sont révolutionnaires. Rendons-leur justice et voyons ce qu’ils ont à nous dire pour des jeunes filles qui souhaitent devenir entrepreneures…

Quelle est cette expérience dont vous pourrez voir tout ce qu’elle nous apprend sur le sujet humain… Ces deux auteurs s’appellent Rosenthal et Jakobson. Ils sont donc américains et publient en 1968 le déroulement et les résultats de leurs recherches dans un livre intitulé Pygmalion à l’école. Dans cette expérience, Rosenthal et Jacobson ont fait croire à des enseignants que certains enfants de leur classe avaient une forte probabilité de faire des progrès importants durant l’année scolaire. En fait, ces enfants avaient été choisis au hasard, et ils ne présentaient pas de différence avec les autres élèves de cette classe. Pourtant, à la fin de l’année scolaire, le quotient intellectuel (QI) des « élèves choisis» était plus élevé que celui des autres enfants ! Autrement dit, en progressant au niveau du QI, ils avaient confirmé les fortes espérances placées en eux par ces mêmes enseignants. Les résultats obtenus par les enfants ont été appelés « l’effet Pygmalion ». *

L’effet Pygmalion est donc « la mise en conformité du comportement d’une personne avec les attentes, explicites ou implicites, de quelqu’un qui a autorité sur elle. Il montre comment des idées reçues sur les capacités ou les traits de caractère associés à des individus se transmettent chez ces individus, et deviennent ainsi réalité. C’est l’un des mécanismes, particulièrement efficace, par lesquels les stéréotypes influent sur la réussite ou l’échec des élèves » écrivent deux sociologues. Cela ne vous rappelle rien ? On verra que cet effet se reproduit à tous les échelons de la société !

Dans l’éducation, ce phénomène consiste à influencer le devenir scolaire d’un élève : les représentations stéréotypées qu’ont certains enseignants – même s’ils s’en défendent – influencent les résultats et le devenir des élèves. Par exemple : l’idée préconçue qu’une fille serait moins douée en mathématiques qu’un garçon entraîne inconsciemment les enseignants à se conduire de telle manière que les filles ont effectivement de moins bons résultats en mathématiques et vont se désintéresser de cette matière. De nombreux chercheurs ont depuis confirmé ces observations !…

Pour expliquer l’effet Pygmalion à l’école, en voici quelques exemples :

Un enseignant a une vision stéréotypée d’un élève et donc une attente préconçue de sa réussite en croyant, par exemple, inconsciemment qu’une fille serait moins performante naturellement en mathématiques…

Comment cela se déroule-t-il ?

Par exemple, l’enseignant n’attend pas une grande réussite et va donc agir vis-à-vis de l’élève en conformité avec cette vision préconçue.

Ce dernier va intégrer le comportement de l’enseignant – consciemment ou inconsciemment – et va réagir en conformité avec les attentes de son professeur : désintérêt pour la discipline et donc moins d’investissement pour celle-ci… Nous avons tous en tête un professeur qui a su nous donner le goût de la matière qu’il enseignait ou cet autre qui nous a détourné de sa discipline …

Ensuite, c’est le cercle infernal où l’enseignant va ressentir le comportement de l’élève qui va ainsi renforcer l’idée préconçue de départ. Et c’est alors que l’élève analyse son propre comportement comme relevant de données personnelles : « je suis nulle en maths », « je ne suis pas faite pour faire des études ». Le tour est joué ! Ces attitudes vont accentuer d’autant plus son désintérêt et son manque de confiance.

Aujourd’hui, toutes les études réalisées en sciences de l’éducation mettent en évidence le fait que certains enseignants ne se comportent pas de la même façon avec les élèves dont ils attendent inconsciemment la réussite et ceux dont ils n’attendent pas a priori, et toujours de façon inconsciente, qu’ils obtiennent de bons résultats (les filles en mathématiques, les élèves de milieux socioculturels défavorisés, etc.). Cette différence passe donc essentiellement par deux critères : le sexe et le milieu socio-culturel. Connaître cette réalité permet peut-être de mieux l’affronter.

Prenons quelques exemples :

  1. Les représentations humaines d’hommes dans les manuels scolaires sont bien plus nombreuses que celles de femmes même si nous constatons une prise de conscience aujourd’hui… Par ailleurs, les interrogations orales destinées aux garçons ne sont pas de même nature que celles destinées aux filles. Les enseignants posent aux garçons davantage de questions de raisonnement qui donnent l’occasion aux jeunes gens de construire leurs connaissances, et aux filles plutôt des questions de restitution de connaissances qui les amènent à mémoriser ! Deux types de savoirs bien différents !
  2. Toujours en mathématiques, les enseignants donnent plus facilement la parole aux garçons qui leur paraissent mieux à même de mettre en place un raisonnement…
  3. Phénomène encore plus spectaculaire : les enseignants aident plus facilement les garçons à construire un raisonnement en les aidant à approfondir par les questions qu’ils posent tandis qu’avec les filles, les interrogations s’arrêtent rapidement…
  4. Enfin, des sociologues ont montré que les filles, notamment à l’école primaire, sont davantage sanctionnées que les garçons soit en termes de punitions soit en termes d’encouragements, ce qui les amène à se montrer plus dociles.

C’est ainsi que Marie Dullu-Bellat peut écrire : « L’accumulation de ces petites différences, qui paraissent à première vue dérisoires, finit par peser : le fait que les enseignants s’intéressent moins aux filles, notamment dans les matières scientifiques, semble nourrir une moindre affirmation de soi que l’on retrouve chez les femmes dans le monde du travail. » [1]

Ces observations faites se diffusent donc dans la société dans son ensemble… Et c’est pourquoi les filles et les femmes doivent toujours faire plus, démontrer plus, travailler plus, agir plus,… pour justifier leurs parcours ! En prendre conscience, c’est alerter sur ce phénomène et le combattre.

 

*Pygmalion du nom du roi de Chypre, sculpteur à ses heures et qui façonne dans l’ivoire une statue si belle qu’il en devient amoureux et devant des émotions aussi fortes, Aphrodite, la déesse de l’amour, donne vie à la statue ainsi réalisée…

[1] (Marie Duru-Bellat, sociologue à l’Institut de sciences politiques citée par Anne Chemin, « La France peu sensible à l’inégalité filles-garçons », Le Monde, 13 novembre 2008).